L’espoir d’un changement pour le meilleur

Le 13 octobre dernier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié son rapport Perspectives énergétiques mondiales (WEO) pour 2021. Le WEO de cette année marque un énorme pas en avant dans les ambitions de l’AIE; en effet, il a été confirmé que le WEO mettra en avant un scénario aligné avec l’objectif des 1,5°C. Il s‘agit là d’un solide appel en direction des gouvernements et des investisseurs en amont de la COP 26 pour que ceux-ci cessent d’investir dans les combustibles fossiles et leur expansion dès aujourd’hui. Plus tôt cette année, en mai, l’AIE a établi dans sa feuille de route « Net Zero by 2050 Roadmap » qu’une trajectoire zéro émission nette signifie qu’il n’est pas nécessaire d’investir dans l’exploitation de nouvelles ressources d’énergies fossiles. « Au-delà des projets déjà prévus en date de 2021, notre trajectoire ne comprend aucun nouveau permis d’exploitation de champs gaziers ou pétroliers, et aucune nouvelle mine de charbon ou extension de mine de charbon n’est nécessaire ». 

Mais l’exploration continue dans de nombreuses régions, y compris sur le continent africain: l’EACOP en Ouganda et en Tanzanie, des projets GNL au Mozambique, du pétrole dans le delta Okavango au Botswana, parmi d’autres. 

En tant que mouvement, nous sommes toujours en faveur d’un dialogue constructif entre acteurs religieux, interconfessionnels et séculaires, à l’exception de ceux qui font des énergies fossiles leur priorité. 

Des entreprises mondiales telles que Total ont un énorme potentiel lorsqu’il s’agit de soutenir une transformation et une réorientation des ressources disponibles à travers le monde vers la croissance et le développement des énergies renouvelables. Continuer avec de nouveaux projets tels que l’EACOP est en opposition fondamentale à cette transformation et nous condamne à des émissions et un usage des combustibles fossiles que l’humanité et notre Maison Commune ne peuvent simplement pas se permettre. L’EACOP détruira le potentiel africain en matière d’agriculture durable, de tourisme et d’économie verte reposant sur les services écosystémiques et la biodiversité. 

Ancrés dans nos valeurs catholiques et la vision d’écologie intégrale de Laudato Si’, nous affirmons notre position à ce sujet. Le projet EACOP, à l’image de toutes les autres « bombes carbones », doit être arrêté afin de sauvegarder la création de Dieu et de protéger les plus vulnérables d’entre nous. 

Contexte.

Si la construction de l’EACOP devait être menée à bien, il s’agirait là de l’oléoduc chauffé le plus long du monde. Tant les sites d’extraction que l’EACOP font courir de graves risques sociaux et environnementaux à des zones de faune sauvage protégées, des ressources en eau et des communautés à travers l’Ouganda et la Tanzanie. C’est une menace pour une des régions à la plus grande diversité écologique et richesse en matière de faune sauvage du monde. Le projet permettrait l’extraction de pétrole dans des écosystèmes cruciaux tels que le parc national des Murchison Falls, traversant des habitats clés pour les lions, éléphants et chimpanzés, ainsi que 12 réserves forestières.

Violations des droits humains des communautés (plus de 100 000 personnes) sur la route de l’EACOP.  Plus de 7000 personnes originaires de 13 villages ont déjà perdu leurs terres dans le district d’Hoima, sur la rive est du Lac Albert, pour que puissent être construites diverses infrastructures, y compris un aéroport pour acheminer du matériel destiné aux champs pétroliers. Beaucoup des personnes expropriées vivent aujourd’hui dans des maisons en ciment dans un village de réinstallation. Elles se plaignent de conditions de vie exiguës, de longues marches pour atteindre leurs nouveaux champs, et l’absence d’espace pour leur bétail. 

Le dernier rapport du GIEC (AR6) nous indique que le budget restant pour ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement est de 400 milliards de tonnes de CO2. Les émissions mondiales de CO2 actuelles sont d’environ 38 milliards de tonnes par an, ce qui nous laisse tout juste 11 ans si nous ne réduisons pas nos émissions d’ici par exemple à la fin de 2030. L’exploitation actuelle des combustibles fossiles représente un dépassement garanti de ce budget carbone, ce qui signifie qu’aucun nouveau projet n’est possible (et nombre des exploitations en cours doivent être fermées). À lui seul, l’EACOP entraînera l’émission de plus de 34 millions de tonnes de carbone chaque année.

Le rapport Perspectives énergétiques mondiales de l’AIE, publié aujourd’hui 13 octobre. En mai 2021, l’AIE a publié la feuille de route « Net Zero in 2050: A roadmap for the global energy system » dans laquelle l’agence a pour la première fois rejoint les avocats de la fin de l’attribution de permis et de financement pour de nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles. Dans le WEO de cette année, l’AIE confirme son analyse sur les 1,5°C, soulignant le scénario Zéro émissions nettes (NZE) comme un étalon de mesure central pour les négociations de la COP 26. Le WEO 2021 appelle à une augmentation massive des énergies propres et la fin de l’expansion et du financement des combustibles fossiles au-delà des champs d’exploitation et mines existants.

Le WEO 2021 réaffirme en particulier que la limite de 1,5°C signifie « aucune exploration pour des combustibles fossiles » et « aucun nouveau champ pétrolier ou gazier… au-delà de ceux dont l’exploitation a déjà été approuvée ». Cela montre également que la construction de centrales au charbon doit s’arrêter dès maintenant, les nouvelles infrastructures d’exportation de GNL représentent probablement des investissements perdus, les investissements dans les énergies propres doivent plus que tripler d’ici à 2030 à l’échelle mondiale et les pays riches doivent complètement décarboniser leur électricité d’ici à 2035. De grandes inquiétudes restent quant à ce scénario, en particulier en ce qui concerne les technologies de capture et de séquestration du carbone (CCS) et les bioénergies, mais de manière générale il s’agit d’une véritable victoire pour les mouvements qui sont parvenus à hisser un scénario 1,5°C au rang de scénario modèle du WEO de cette année.

C’est le résultat de plusieurs années de mobilisation de la part d’organisations de la société civile et d’autres à travers le monde. Le mois dernier, 150 organisations de la société civile, y compris le mouvement Laudato Si’, ont écrit à l’AIE en lui demandant de faire du scénario Zéro émission nette d’ici à 2050 (Net Zero by 2050) le scénario central du prochain rapport Perspectives énergétiques mondiales (WEO) ainsi que de tous les WEO et analyses de l’AIE à venir; et de renforcer le scénario Zéro émission nette d’ici à 2050 en réduisant sa dépendance excessive vis-à-vis des technologies de capture et séquestration du carbone (CCS), du gaz fossile, de l’énergie nucléaire et de la bioénergie.

Le mouvement Laudato Si’ fait partie de la coalition #STOPEACOP, coalition composée de plus de 40 organisations qui agissent de concert pour s’opposer à l’EACOP au nom de la nature, des gens et du climat. Plus d’un million de personnes ont déjà fait entendre leur voix contre l’EACOP, y compris plusieurs évêques africains qui ont publié un appel à la fin de l’exploration du gaz et du pétrole en Afrique, appel paru le 24 septembre. Le cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral du Vatican, et l’archevêque Jean-Marc Aveline de Marseille ont récemment invité tous les catholiques à signer la pétition « Santé de la terre, santé de l’humanité » lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN à Marseille. En septembre, le MLS a remis une lettre ouverte au siège de l’UICN réclamant une déclaration publique de la part de l’UICN ainsi que la mise en place d’un groupe de travail ad hoc sur les projets pétroliers Tilenga/Kingfisher/EACOP. Une publication de blog dans le journal Le Monde, parue le 8 octobre et signée et soutenue par 12 personnalités catholiques et séculaires, ainsi que divers mouvements, a permis de sensibiliser un plus large public à cette question. Le MLS participe également à une action lors du tour de Total lundi 18 octobre.

« Le réchauffement causé par l’énorme consommation de certains pays riches a des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre, spécialement en Afrique » (LS 51). Un triste exemple en est la famine liée au climat qui sévit actuellement à Madagascar et qui signifie qu’au moins 400 000 personnes se trouvent au bord de la famine.

Le rapport du GIEC et la Doctrine sociale de l’Église sont parfaitement clairs à ce sujet. D’énormes projets « bombes carbone » tels que l’EACOP/ Tilenga (1 milliard de barils de pétrole) ne sont simplement pas possibles si l’on souhaite rester sous les 1,5°C de réchauffement. « Tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » exige que nous respections cette limite. « La limite des 1,5°C est une limite morale ».

Les pays africains devraient avoir le même droit que les pays européens et du Nord de créer, développer et garantir une économie juste et non dépendante des énergies fossiles.

Les pays africains ne doivent pas devenir la solution de repli de l’industrie fossile pour que celle-ci puisse continuer l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles à tout prix, et faire comme si de rien n’était. Nous reconnaissons devoir défendre une vision pour une économie durable et inclusive pour l’Afrique de l’est et le continent dans sa totalité – et nous avons hâte de travailler à soutenir et développer divers liens et opportunités de collaboration. Les droits des ougandais et tanzaniens nous tiennent à cœur. Un développement et une croissance économique durables ne sont possibles que s’ils sont menés par et pour les citoyens de ces pays.

Nous saluons le traval réalisé par l’AIE dans sa feuille de route « Net zero by 2050 » en mai 2021 ainsi que dans son rapport Perspectives énergétiques mondiales d’octobre 2021. Pendant plusieurs années, des investisseurs, des scientifiques spécialistes du climat, des membres de la société civile, des chefs d’entreprise et des gouvernements progressistes n’ont cessé d’appeler l’AIE à aligner ses modélisations climatiques sur 1,5°C. En effet, l’AIE a une véritable influence en ce qui concerne le type d’énergie dans lequel des billions de dollars vont être investis par les gouvernements et les investisseurs.

Il reste cependant beaucoup de travail pour s’assurer que plus aucun investissement n’aille soutenir les combustibles fossiles et projets d’exploration, et que l’industrie fossile soit tenue responsable des promesses faites en matière d’engagement zéro émission nette. Celles-ci sont principalement fondées sur les technologies CCS (capture et séquestration du carbone) qui soit n’existent pas soit sont en pratique à peine utilisables. Sans aucun plan d’action concret, de calendrier et de mesures spécifiques liées à un budget pour la transition, il s’agit là de fausses solutions à une crise climatique que nous ne pouvons cautionner.

Il faut dès à présent laisser l’ensemble des réserves de combustibles fossiles restantes sous la terre si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5°C.

L’EACOP ne représente pas un investissement dans l’ensemble des secteurs listés, même si le projet représentera soi-disant un formidable bénéfice pour les économies locales.

Nous demandons la fin de l’EACOP et continuerons à mener un plaidoyer prophétique pour un monde libéré des énergies fossiles et ouvert à la justice climatique et sociale.