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Que peuvent faire les catholiques pour empêcher la mise en œuvre d’un projet d’infrastructures fossiles mortifère ? Rassemblés par le mouvement Laudato Si’ dans un webinaire le 23 mai, plusieurs experts et activistes ont proposé un éclairage sur le projet EACOP et les moyens d’agir ensemble.

Depuis sa fondation, le Mouvement Laudato Si’ rassemble et amplifie la voix des catholiques auprès des décideurs et responsables politiques, afin que ceux-ci s’attaquent aux causes structurelles de la crise écologique. Le développement continu des infrastructures relatives aux énergies fossiles est l’une de ces causes qui endommagent la Création. Nous savons que nous devons collectivement sortir des énergies fossiles « sans retard » (LS 165) – pourtant, de nombreux projets continuent à voir le jour, soutenus par les majors pétro-gazières mais aussi par des acteurs financiers comme les banques.

Parmi ces « bombes climatiques » à retardement, le projet EACOP fait l’objet d’une mobilisation particulière des catholiques : en Tanzanie et Ouganda, où le projet est développé, en France, pays du siège de TotalEnergies, mais aussi ailleurs.

EACOP, une bombe climatique

EACOP ? Derrière l’acronyme, on parle de plusieurs projets. D’abord, les projets Tilenga et Kingfishers vont exploiter des gisements d’hydrocarbures en Ouganda, 400 puits sur les bords du Lac Albert. Ensuite, le projet d’oléoduc d’Afrique de l’Est (dit EACOP), 1444 kilomètres de tuyaux chauffés traversant des aires écologiques sensibles. Ensemble, les projets représentent une menace considérable : 40 millions de personnes dépendent des sources d’eau potentiellement polluées par ces infrastructures, des dizaines d’espèces menacées sont susceptibles de voir leurs habitats dégradés, au moins cent mille personnes sont déplacées par ce projet. Mais c’est aussi un problème pour toute l’humanité d’aujourd’hui et de demain : le projet permettra l’émission de 34 millions de tonnes de CO₂ chaque année durant des décennies, ce qui renforce le réchauffement climatique déjà dramatique.

Des mobilisations, en Afrique et en Europe

Sur place, malgré la pression politique et économique, les personnes affectées et les militants pour la justice climatique s’activent afin d’empêcher le projet de voir le jour. Comme le rappelle Christian Hounkanou, de 350.org Afrique : « nous avons besoin d’une véritable transition énergétique, pas de ce modèle du passé ». Les différentes personnes impliquées, comme le chapitre ougandais du Mouvement Laudato Si’, mènent un travail de sensibilisation aux dommages locaux et globaux de ce projet et demandent aux acteurs financiers de ne pas le soutenir.

En France, les Amis de la Terre se font l’écho de la voix des personnes affectées. Grâce à la « loi sur le devoir de vigilance », une initiative pionnière de la France, un recours vise à faire reconnaître les atteintes aux droits humains et environnementaux du projet. Malgré les difficultés de la procédure, la démarche juridique permet de sensibiliser plus de citoyens en France et ailleurs. La mobilisation de la société civile en France rassemble largement : la communauté scientifique, les organisations environnementales et de solidarité internationales, mais aussi les acteurs confessionnels. « Ce front large augmente les chances de faire aboutir le combat judiciaire » affirme Marcellin Jehl, chargé de plaidoyer et contentieux aux Amis de la Terre France. En plus de TotalEnergies, d’autres acteurs des pays du Nord sont susceptibles d’être complices de cette destruction, notamment les institutions finanicères. Grâce à la pression citoyenne, la plupart des grandes banques françaises se sont engagées à ne pas financer directement le projet, même si la vigilance reste de mise sur ces engagements.

Et les catholiques?

Quelle contribution pour les catholiques ? Comme le rappelle Benoit Halgand, activiste chrétien pour l’écologie, « en France on voyait émerger le consensus politique, scientifique et même financier contre ce projet – et nous sommes nombreux à avoir ressenti qu’il manquait une voix forte des responsables catholiques ». Trouvant leur justification dans les encycliques et paroles prophétiques du Saint-Père lui-même, un collectif de jeunes catholiques a donc interpellé les évêques afin qu’ils s’expriment clairement et en vérité sur le projet. Si cette démarche n’a pas abouti, les 400 signataires de la lettre ouverte aux évêques se mettent en mouvement pour unifier leurs vies de foi et leur désir de voir émerger une véritable justice climatique. Entre autres choses, des dizaines de personnes se sont retrouvées dans des « cercles de silence » au pied du siège de TotalEnergies à Nanterre, une manière ‘non-puissante’ de signifier leur désaccord tout en priant ensemble. « Nous avons envie de rester dans des luttes joyeuses et créatives – dans l’espérance de fruits visibles ou invisibles. » Un « engagement généreux, qui peut devenir un lieu de rencontre avec le Christ » selon le jeune homme.

Sylvette, animatrice Laudato Si’ en France, s’est également mobilisée pour essayer d’empêcher cette bombe climatique. Mise en lien avec de nombreuses personnes engagées pour la justice climatique, elle a rédigé une lettre à destination du PDG du Crédit Agricole, grande banque française finançant TotalEnergies, et l’a remise au chef de l’agence bancaire la plus proche de chez elle. « Avant d’y aller, j’ai pu échanger sur WhatsApp avec de nombreuses personnes, surtout des femmes d’ailleurs, qui racontaient leur expérience. C’était dynamique, engageant, enthousiasmant même. Je ne suis pas vraiment une personne militante, donc j’appréhendais de devoir argumenter mais la personne qui m’a reçue a eu l’air de découvrir le problème des financements de sa banque en faveur des projets fossiles. »

En Afrique de l’Est comme en Europe, la mobilisation des fidèles est utile pour essayer d’empêcher les dommages à la Création, mais elle est également un signe visible de l’Esprit à l’œuvre à travers l’Église universelle.